Assis sur les marches, devant une vieille maison abandonnée et écartée de la civilisation disparue, Colton est pensif. Il n'a pas su fermer les yeux de toute la nuit (c'est une habitude) et s'est installé ici, à l'air frais, espérant pouvoir réfléchir au groupe qu'il trimbale depuis maintenant quatre mois. Ils sont cinq. Tous ont eu des parcours compliqués, difficiles et marquants - mais le passé qui le relie à Livia est, à lui seul, la source de ses peines. Sa mère est morte à cause de lui. D'autres personnes sont mortes à cause de lui, seulement, les autres, il ne faisait que douter - il n'a pas vu leur cervelle gicler au sol et leurs organes se faire déchiqueter. Il était là. Dans un coin, fixant la scène, le cœur qui se serrait dans sa poitrine. Il n'a rien fait. Incapable. Peureux. Désarmé à ce moment précis. Les Hommes ne sont plus humains. Les humains n'existent plus. Il n'y a plus que des monstres, partout, tout le temps. « Tu dors pas ? » Colton tourne la tête, laisse un sourire s'installer sur son visage en voyant Jordan s'approcher. Il hausse les épaules, se décale légèrement pour lui laisser une place. « Nan. J'essaye de réfléchir pour toute à l'heure. » Ses yeux se reposent sur la nature, les arbres, les branches qui bougent avec le vent. Dans quelques heures, ils partent. Ils marchent à nouveau vers un lieu inconnu, vers une nouvelle planque. Ils ne restent jamais plus de trois nuits au même endroit, règle d'or prise depuis le premier jour. On sait jamais. « Ah, oui, on part. » Le jeune homme lâche un soupir en s'installant, levant les yeux au ciel. « Pourtant, on pourrait rester ici. On est vraiment seuls. » Ça arrache un léger rire à Colton, suffisant pour qu'il se relève et se mette devant Jordan, les mains dans les poches. « On est jamais seuls, Jordan. Jamais. » Il recule, marche en arrière, souriant. Il l'aime bien. Jordan, c'est quelqu'un de sympa, de drôle et de naturellement gentil. Le genre de mec avec qui on veut passer du temps, avec qui on tisse aisément une amitié solide. « Viens. »

Ils marchent quelques minutes. Silencieux. Ils ne parlent pas pour ne pas cacher l'alerte des fameux pièges de Livia. Des clochettes, des branches, des pièges pathétiques mais extrêmement utiles. Finalement, les deux jeunes hommes arrivent devant une sorte de petite mare. Le vent s'est calmé, le silence devient pesant. « Pourquoi tu m'as amené ici ? » Colton hausse les épaules, regarde l'eau vaseuse quelques instants avant de relever les yeux ; un petit pont, un énorme arbre, une ambiance paisible. On pourrait oublier qu'à quelques heures d'ici, c'est la mort qui domine tout. « Je voulais faire venir tout le monde avant de partir. Prendre un peu de bon temps, faire une sorte de pause. » Jordan enchaîne immédiatement, « C'est une super idée ! Tu veux que j'aille prévenir les autres ? » Colton s'abaisse et de sa main il vient pousser les quelques touffes de verdure qui protège la marre. Un cadavre. Enfin, un tas de chair, une chose, un monstre. « La semaine dernière on pensait encore qu'ils resteraient dans les grandes villes et ne s'éloigneraient pas trop pour éviter d'être exposés au soleil. » Sa mâchoire se crispe. « Du coup, s'éloigner dans les campagnes c'était pas con comme idée, sauf qu'ils arrivent. » Il se relève, pose ses yeux dans ceux du quatrième. « Donc on doit partir dans moins d'une heure, va les réveiller. »

Ils sont toujours en colonie. Ne sont jamais seuls.
Moins de trois heures après, Jordan est mort.



ucey