Il y avait l'vent de décembre 2018 qui soufflait dans la toiture abîmée de la grange, le soleil qui se pointait à peine et ces bruits, ces putains de bruits. Des cris d'agonie, des grognements rauques ou la souffrance d'une paire de poumons qui s'étouffe. Il n'y avait pas trop d'mots pour décrire ce qui se tassait sur la porte de la vieille bâtisse, la f'sait grincer de douleur. Des corps sans vie ou des vies sans corps, il paraît qu'ça avait commencé ici, au Texas. Heure du décès, cinq heure vingt trois du matin. Ils avaient tout vécu ensemble : les annonces terrifiantes à la radio, les macabés qui s'bousculaient dans l'fond du champ, le bruit sourd que San Antonio a fait lorsqu'elle est tombée, le silence d'un pays tout entier. Elle avait pas trop eu l'choix, il le lui avait pas laissé. Ils étaient capables de s'en sortir seuls, qu'il disait, de tenir ce foutu ranch jusqu'à c'que le monde se taise et que la vie apparaisse de nouveau. Il a lâché la corde qu'il avait noué autour des poignets de la blonde, se redressa et contourna la poutre qui soutenait la carcasse inanimée. Y'avait un vieux tabouret, en plein milieu des bottes de paille éventrées. Il s'y est assis après avoir inspecté chaque fenêtre condamnée, chaque faille dans le bois qui pourrait laisser passer une main, un doigt. Il faisait encore nuit et l'obscurité grouillait de chaires affamées. Le vieux meuble a grincé quand il a reçu le poids de Saul. Tu sais, j'suis persuadé qu'au fond d'toi, tu l'savais. Les genoux aux antipodes, les coudes vissés dans les muscles de ses cuisses, il a posé son regard sur ce visage penché, sur ces lèvres teintées de sang séché. Les mains jointes, il avait sa bouche posée sur ses doigts sales et le glock toujours près de lui. Il a regardé cette silhouette courbée à même le sol pendant de longues minutes. Elle avait toujours fermé les yeux sur ce qu'il avait pu faire, sur ce qu'il avait pu être. Elle n'avait jamais posé d'questions, naïvement, et lui, il s'était contenté du silence. Sauf qu'elle l'avait vu, droit comme un i, les bras figés et la précision meurtrière. Y'avait pas un rôdeur qui avait passé leur portail, pas une seule de ces créatures qui avait salit l'ocre de leurs terres. Et dans les yeux d'son mari, elle y voyait du plaisir. Elle s'était mise à le craindre, lui et son obstination. Elle voulait rejoindre le camp, celui dont tout le monde parlait. Elle voulait fuir loin de tous ces steaks sur pattes qui s'agitaient dans les stalles. Y'avait pas d'négociation possible, il voulait pas abandonner ses bêtes. Il voulait pas abandonner ses terres. Il voulait pas abandonner sa liberté. J'ai pas fait qu'des trucs biens. Les canons froids étaient venus se poser sur sa tempe, frottant au passage la saleté qui lui noircissait la peau. Des vivants, il en avait abattus bien avant que les morts ne viennent frapper à sa porte. Un nom, une balle, un cadavre puis la facture : c'était aussi simple que ça. Le gamin des rues était devenu le parfait limier, celui à l'oeil fou et à la canine sanguinaire. Les compétences reconnues, son orgueil avait eu raison de sa discrétion et c'est à coups de matraques dans le côtes que l'maton lui a fêté sa trentaine. Quand j't'ai rencontré, j'sortais d'taule. Ca f'sait six ans qu'on m'traitait comme un rat. Le glock était retombé en même temps que son poignet, dans un mouvement brisé. Les yeux à la dérive, il voyait les ombres qui s'entassaient contre les quatre murs de la grange. Il savait pas trop si l'vieux bois allait tenir très longtemps. Juste le temps de lui régler son compte, il espérait. Tu m'écoutes ? De ses grolles abîmées, il a donné un grand coup de pompes dans le corps lourd et sans vie qui gisait juste en face de lui. Elle s'était rapprochée un peu plus du sol, attirée par les enfers sans jamais pourtant mettre le nez dans la poussière du parquet. Le tabouret sur lequel il était assis avait grincé dans l'effort et le vacarme n'avait fait qu'amplifier la soif des macabés derrière les planches. Pourquoi tu m'as fait ça, hein ? Il s'approche, le buste qui penche vers l'avant et l'air menaçant. Il avait le ton calme mais incisif, Saul. Il avait la haine, il avait la rage, il avait mal dans la poitrine. La veille, ils étaient sur l'point d'éteindre la dernière lumière, sur le point d'envoyer se faire foutre cette journée de plus dans le chaos. Y'a eut un bruit, un seul, et c'est la maison toute entière qui s'était mise à trembler. Ca sentait la chaire en décomposition, ils entendaient les cris qui résonnaient dans chacune des pièces, les chevaux qui hennissaient, le chien qui aboyait. C'était comme la fin du monde en accéléré. Ils ont couru, ils se sont débattus pour retrouver l'air frais. Elle a couru vers la grange, ouvert les portes et lui, il a couvert ses arrières. Les corps qui heurtaient le sol, un par un, les balles qui sifflaient et les portes en bois qui se refermaient. Un regard en arrière, il avait la peur au ventre : elle était en train de le livrer en pâture à l'armée de chaire qui se pressait à ses trousses. Pourquoi ?! Son corps qu'il a laissé tomber sur le sol, ses genoux qui ont heurté le plancher, il a attrapé entre ses paumes le visage froid de ce qu'il restait de sa femme, la crosse du glock qui s'imprimait dans sa joue poudrée. Il avait l'sang froid qui lui échappait lorsqu'il regardait les paupières closes qui ne voulaient plus s'ouvrir. Elle l'aurait sacrifié. Elle l'avait sacrifié. Saul, il avait trouvé refuge dans l'grenier dans les écuries. Entre le vent qui hurlait et les chevaux qui s'étouffaient en-dessous dans des gargouillements étranglés d'hémoglobine, elles avaient été longues, les heures avant que le silence ne retombe, que l'agitation ne cesse. Il l'avait retrouvée là, à moitié crevée dans une botte de paille, ses mains qui pataugeaient dans son propre sang. Elle avait rendu son dernier souffle, terrifiant, les yeux dans les yeux, sans un mot. Ils en étaient là. Elle, la vie qui s'était fait la malle et lui, les genoux dans le sang d'sa moitié qu'il voulait voir ressusciter. RÉVEILLE-TOI BORDEL DE MERDE ! Il l'avait secouée si fort qu'on avait entendu sa nuque craquer. Quelques secondes de silence, une respiration qui reprenait, chaotique. Il avait lâché son visage et regardait sa poitrine qui se levait au rythme de l'inespéré. Les mâchoires de la blonde s'étaient mises à claquer frénétiquement dans un grognement lugubre et son regard, ouais son regard, il était affamé, meurtrier. Il s'était redressé, Saul, avait retenu un long soupir et avait chargé le glock entre ses doigts. Elle s'agitait comme une damnée et les murs de la grande s'étaient mis à grincer encore plus fort. Les macabés dehors, ils réagissaient, cherchaient à entrer avec plus de hargne et de vigueur. Le bras qui s'est levé, l'arme qu'il a pointé droit sur le front de l'infectée. Va crever. La queue de détente qui s'était écrasée sous la pression et la balle qui était allé se loger dans l'crâne de la blonde. Son corps était retombé une seconde fois, toujours retenu par ses poignets liés. Heure du décès, six heures trente sept du matin.


Deux mois qu'il tenait seul son ranch avec la ferveur d'un condamné à mort. Elle n'avait pas bougé de place. Il lui restait ses armes, deux canassons et son clébard : pas d'quoi monter une armée. Le reste avait été bouffé par les morts. Les vivres venaient à manquer, les rôdeurs étaient de plus en plus nombreux et les munitions s'épuisaient drastiquement. Les bourrins sellés et le paquetage fermé, c'est le mois de février 2019 qui vit le départ de Ledger. Le camp dont lui parlait sa femme pour objectif, il a traversé le Texas, l'Arkansas et l'Illinois. Presque deux années en solitaire, le périple ponctué par les rencontres hasardeuses et les situations qui se terminent sur le fil. Sur la fin, y'avait plus d'distinction : mort ou vif, agité ou inanimé, humain ou animal. Y'avait qu'le bruit des balles et des corps qui s'écroulent. Y'avait que sa survie qui comptait, au détriment de celles des autres. Unique leçon qu'il avait toujours retenu. Aux portes de la folie, y'avait eut cette brune à la bécane rouillée, en septembre 2020. Un contretemps appétissant pour la horde qu'il suivait depuis une dizaine de kilomètres. Puis y'avait eut sa conscience qui s'était pointée sans prévenir, le reste d'humanité qu'il portait encore, qui lui firent faire demi-tour. Elle avait finit par poser son cul sur le deuxième canasson et ils avaient affrontés les enfers ensembles jusqu'au mois de mars suivant suite à un … désaccord. Elle voulait Jericho, lui non. Elle accélérait la marche et lui, la ralentissait. Elle a rendu les rênes et leurs chemins se sont séparés. A court de tout, l'animal a fini par rejoindre le camp en mai 2021. Une vieille ferme délabrée dans les forêts avoisinantes comme point de repli : il n'a jamais confiance. Il y laisse ses canassons et son chien, passe ses journées en dehors des murs. Ada est ici. Ada est en sécurité.

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